À l’heure où je vous écris ces lignes, le CAC 40 termine à +3,32 % à 4 300 points. Comme pour une journée banale, ça ne me fait ni chaud ni froid. Vous avez peut-être vous aussi constaté le formidable pouvoir anesthésiant de l’habitude, qui banalise l’extraordinaire violence des semaines passées. Le problème avec l’habitude, c’est que l’on est moins vigilant, on se relâche comme sur pilote automatique et on ne prend plus la mesure du danger… Malheureusement, cela ne va pas s’arrêter là.
Pour le moment, le point bas sur le CAC 40 a été atteint le lundi 16 mars dernier, à 3 632 points. Pouvons-nous encore aller beaucoup plus bas ? C’est la question que se posent également tous les spécialistes du marché.
Mon analyse est la suivante : une nervosité sans précédent
Pour un non-initié, il est très difficile de suivre le marché sans se faire prendre constamment à contre-pied. On perd 500 points en une journée et on en reprend 300 le lendemain. On vend ou on achète aux mauvais moments et, comme un mouton apeuré, on suit le troupeau pour finir dans le ravin… De fait, même si les affaires semblent belles et prometteuses, je recommande de rester loin de tout cela car perdre 300 points et en regagner aussitôt 200, c’est la première conséquence observable de la peur.
Si vous connaissez l’indice VIX (indicateur de volatilité du marché financier américain), sachez que celui-ci a atteint un point haut le 18 mars dernier. Pour les avertis, on l’appelle à juste titre l’indice de la peur. Celui-ci est calculé à partir de la volatilité observable sur un certain type de produits boursiers.
Définissons d’abord ce qu’est la volatilité : c’est l’agitation et la nervosité extrêmes, ce sont ces montagnes russes que vous voyez défiler sur les graphiques des traders…
Nous pourrions même faire une analogie avec un séisme : la peur des investisseurs peut être assimilée aux tremblements de terre.
En d’autres termes, la volatilité des cours, ce sont les hachures du sismographe qui enregistre la secousse et le VIX, l’échelle de Richter. Dans la nature, plus la terre tremble, plus les mouvements du sol sont grands, plus les hachures sont importantes et plus le séisme est puissant sur l’échelle de Richter.
Dans la finance, c’est la même chose : plus la peur est grande, plus les cours sont volatiles, plus le VIX est haut.
Un séisme de 10 sur l’échelle de Richter
Et le 18 mars justement, le VIX a atteint une valeur de 86, ce qui est un record. Jamais, depuis sa création en 1990, il n’avait été aussi haut. En synthèse donc, jamais les investisseurs n’avaient eu aussi peur, ils ont même plus peur qu’en 2008 !
La peur, elle nous saisit lorsque nous sommes au bord du précipice, c’est la peur de tomber, de chuter, de perdre, celle du crash. Le VIX est là pour nous rappeler que « ça joue » très gros en ce moment sur les marchés financiers.
La raison intime pour que cette peur continue de distiller, c’est que les investisseurs savent que cette fois, on peut aller encore plus loin qu’en 2008.
Imaginez que nous sommes sur un dancefloor survolté, et la musique vient de s’arrêter très brutalement. Tout le monde se regarde hagard… tous se demandent quel sera le prochain rythme…
Un CAC 40 à 3 500 points, voire à moins de 3 000 points dans quelques jours, quelques semaines ?
Ça joue très très gros car la situation est totalement inédite et inconnue, les marchés ne sont pas formatés pour faire face à une telle situation. De fait, plus il y aura d’interrogations et pas ou peu de réponses et de solutions adaptées, plus la situation deviendra chaotique et imprévisible.
Essayons de comprendre les enjeux d’un point de vue macroéconomique.
Pourquoi le monde de la finance est-il terrorisé ?
Rien n’est simple : “l’on entend parfois ces derniers jours que l’on n’en a plus que pour quelques jours de crises, une fois que le pic de l’épidémie sera passé cela ira mieux, regarde en Chine ça repart déjà !”
Ah bon, ça repart ?
Oui… les chinois commencent en effet à ressortir, à marcher dans les parcs, à regoûter aux joies du soleil et… à tenter de redémarrer l’outil industriel. Mais économiquement, ce n’est pas ça du tout. Non, la Chine ne va pas et ne peut pas repartir comme ça, d’un coup sec, car au choc de l’offre succédera le choc de la demande…
L’économie chinoise repose principalement, comme vous le savez, sur l’exportation. C’est la plus grande puissance exportatrice au monde, vers les USA et l’Europe principalement.
Cependant les confinements sont, au mieux, en cours, mais sont loin d’être terminés. Nul ne sait comment gérer les déconfinements futurs et les prochaines vagues d’épidémies qui pourraient, d’un point de vue sanitaire, se révéler encore plus sévères.
Le confinement implique aucune exportation, ou en tout cas pas assez pour faire redémarrer la machine industrielle chinoise.
D’un autre côté, l’épidémie ne frappe pas (et donc ne gèle pas) les économies de tous les pays en même temps.
Il y a eu la Chine (première secousse sur les marchés financiers en janvier), puis l’Europe (la seconde chute) et aujourd’hui les États-Unis (notre troisième pas de danse sur le dancefloor ?).
Je crois que les marchés américains n’ont pas encore totalement intégré dans leurs cours le possible impact d’un confinement de longue durée et de grande échelle sur tout leur territoire.
Pour le moment, ils s’inquiètent surtout des retombées économiques du gel de leur appareil industriel, et du nombre de chômeurs qui a explosé en quelques jours. Les annonces de l’administration Trump tente de rassurer les marchés en promettant d’injecter massivement des devises pour maintenir la consommation des ménages et amortir le choc économique provoqué par le Covid-19.
Je n’ai bien sûr pas de boule de cristal, mais je pense qu’au vu des faits et des postulats les plus sérieux, nous devrions en avoir encore pour un long moment avant de voir le soleil resurgir. Aujourd’hui, l’économie mondiale est à l’arrêt et il faudra du temps pour la faire repartir.
Limiter le risque d’un effet « domino » dramatique de la crise sanitaire sur nos systèmes financiers, bancaires et économiques est aujourd’hui le principal enjeu.
Ce risque de réaction en chaîne nous conduirait alors d’une récession déjà actée ce jour à une grande dépression similaire à celle de 1929 et dont les effets seraient alors bien plus catastrophiques pour un monde qui ne ressemble plus à celui du siècle dernier.
Mais restons positifs, c’est bien dans l’adversité et la difficulté que l’humanité a souvent su faire preuve de résilience. Espérons que ce choc extrême soit salutaire et donne à nos sociétés l’impulsion nécessaire pour réformer profondément notre système financier et bancaire, mais aussi pour investir massivement là où les vrais besoins se font sentir : l’environnement, l’humain, et définir ensemble un vaste programme de réformes essentielles.